Par une décision lapidaire en date du 28 juin dernier, le Conseil d’Etat a définitivement tranché la question de la propriété des compteurs électriques aux dépens du patrimoine des communes et sans aucune considération pour les règles de la dominialité publique applicables en matière de transferts de propriété entre personnes publiques.
Comme plus de 800 autres communes françaises, le Conseil municipal de la commune de Bovel s’était opposé au déploiement des compteurs Linky sur son territoire en sa qualité de propriétaire des compteurs. Cette délibération a été annulée par le Tribunal administratif de Rennes, qui a estimé que le propriétaire des compteurs électriques était le syndicat mixte départemental d’énergie, auquel la commune avait transféré sa compétence en matière de gestion du réseau public d'électricité. Confirmant également l'arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes, le Conseil d’Etat a finalement rejeté l’argumentation de la commune.
Pour ce faire, le Conseil d’Etat a tout d'abord distingué le transfert de compétence du transfert en pleine propriété. D’une part, l’article L. 1321-1 du code général des collectivités territoriales dispose que le transfert d’une compétence emporte de plein droit la mise à disposition des biens utilisés. D’autre part, l’article L. 1321-4 du même code précise que « les conditions dans lesquelles les biens mis à disposition, en application de l'article L. 1321-2, peuvent faire l'objet d'un transfert en pleine propriété à la collectivité bénéficiaire sont définies par la loi ».
Le Conseil d’Etat s’est appuyé ensuite sur le premier alinéa de l’article L. 322-4 du code de l'énergie, selon lequel « les ouvrages des réseaux publics de distribution […] appartiennent aux collectivités territoriales ou à leurs groupements désignés au IV de l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales », c’est-à-dire à « la commune où l'établissement public de coopération auquel elle a transféré cette compétence ».
Le Conseil d’Etat s'est contenté enfin de déduire « de la combinaison des dispositions précitées » que l’autorité gestionnaire du réseau était la propriétaire des compteurs et qu’en conséquence le transfert de compétence avait entraîné le transfert de propriété.
Cette motivation apparaît pour le moins lapidaire. En effet, l’article L.1321-4 du Code général des collectivités territoriales indique que les conditions d'un transfert en pleine propriété "sont définies par la loi". Or l’article L.322-4 du Code de l’énergie ne prévoit aucunement les conditions de ce transfert mais se contente de désigner les propriétaires potentiels des compteurs. L’article L. 2224-31 du Code général des collectivités territoriales n'est pas plus décisif : il indique uniquement que les compteurs peuvent appartenir à la commune ou à l’établissement public de coopération auquel elle aurait transféré sa compétence. Ni l’article L. 322-4 du Code de l’énergie ni l’article L. 2224-31 du CGCT ne prévoient donc les conditions d'un transfert en pleine propriété des compteurs.
Cette décision passe en outre sous silence les règles de la domanialité publique applicables en matière de transferts de propriété entre personnes publiques. Il ressort de l’article L. 2111-1 du Code général des propriétés des personnes publiques, de l’article D. 342-1 du Code de l’énergie et de l’article 524 du Code civil que les compteurs appartiennent originellement à la commune. Les conditions du transfert de propriété des compteurs vers une autre collectivité sont fixés par le Code général de la propriété des personnes publiques et par le Code général des collectivités territoriales. L’article L. 3112-1 du Code général de la propriété des personnes publiques précise uniquement que les biens des personnes publiques peuvent être cédés à l’amiable pour l’exercice des compétences de la personne publique qui les acquiert. Or une réponse ministérielle en date du 23 août 2016 a précisé que cette cession à l’amiable pouvait être accomplie si les trois formalités suivantes, classiques en matière de domanialité publique, étaient accomplies :
- l'adoption d'une délibération par le Conseil municipal (en application de l’article L. 2241-1 du Code général des collectivités territoriales) ;
- le paiement d'une indemnisation à la valeur réelle des biens transférés par la personne publique acquéreur, qui découle directement de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, laquelle protège le droit de propriété, y compris celui des personnes publiques ;
- une publication au fichier immobilier.
Aucune de ces formalités n’est généralement réalisée par les communes et les établissements publics auxquels la compétence de gestion du réseau public de l'électricité a été transférée. Ce n'était pas le cas, en tout état de cause, de la commune de Bovel. Elle aurait donc dû conserver la propriété des compteurs.
L’on ne peut donc que déplorer cette décision du Conseil d'Etat qui dépossède sans acceptation ni aucune compensation les communes de leur patrimoine et met un terme abrupte et incompréhensible à un débat d'une importance pourtant capitale dans le dossier des compteurs "Linky".
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