RETOUR SUR UNE LONGUE EPOPEE
Afin d’encourager la préservation et l’enrichissement de la biodiversité agricole par les jardiniers amateurs, la France a récemment autorisé la vente libre de semences de variétés appartenant au domaine public (libres de droits) lorsque celles-ci sont destinées à des « utilisateurs finaux non professionnels ne visant pas une exploitation commerciale de la variété ». Ces opérations sont donc désormais exemptées des règles inscrites dans les directives européennes sur le commerce des semences.
Explications :
Depuis le 12 juin 2020, les variétés de semences appartenant au domaine public (libres de droits) peuvent être vendues aux utilisateurs non professionnels sans être inscrites au « catalogue officiel ». En effet, ces variétés, très nombreuses et diversifiées, ne remplissaient pas les critères requis pour être inscrites au catalogue et ne pouvaient donc pas être vendues légalement.
Le 23 juin 2020, la Commission européenne s’est opposée à cette mesure, par un « avis circonstancié » faisant suite à une notification des autorités françaises. Quelle est la portée réelle de cet avis ?
Le présent article a pour objet d’apporter un éclairage juridique sur cette question. Le dispositif d’exemption français sera tout d’abord présenté, avant de dresser un historique de son adoption, remontant à la « loi Biodiversité » de 2016. Les dispositions de droit européen sur lesquelles s’appuie la notification faite par le Ministère de l’agriculture à la Commission européenne seront ensuite présentées, pour enfin démontrer la parfaite conformité au droit européen du dispositif d’exemption mis en place par la France.
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Le dispositif français introduit des changements concrets
1. L’exemption de l’obligation d’inscription des variétés au catalogue officiel
Le dispositif d’exemption français est inscrit à l’article 10 de la loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires, qui modifie le dernier alinéa de l’article L. 661-8 du code rural et de la pêche maritime comme suit :
« La cession, la fourniture ou le transfert, réalisé à titre gratuit ou à titre onéreux de semences ou de matériels de reproduction des végétaux d'espèces cultivées de variétés appartenant au domaine public à des utilisateurs finaux non professionnels ne visant pas une exploitation commerciale de la variété n'est pas soumis aux dispositions du présent article, à l'exception des règles sanitaires relatives à la sélection et à la production. »
Or, les « dispositions du présent article », c’est-à-dire les règles inscrites à l’article L. 661-8 du code rural et de la pêche maritime, sont les suivantes :
« […] Ce décret en Conseil d’État fixe :
« 1° Les conditions dans lesquelles ces matériels sont sélectionnés, produits, multipliés et, le cas échéant, certifiés, en tenant compte des différents modes de reproduction ;
2° Les conditions d'inscription au Catalogue officiel des différentes catégories de variétés dont les matériels peuvent être commercialisés ;
3° Les règles permettant d'assurer la traçabilité des produits depuis le producteur jusqu'au consommateur. »
Cette obligation d’inscription au Catalogue officiel est issue des différentes directives européennes sur le commerce des semences :
« 1. Les États membres prescrivent que des semences de légumes
ne peuvent être certifiées, contrôlées en tant que semences standard et commercialisées que si leur variété est officiellement admise dans au moins un État membre.
2. Chaque État membre établit un ou plusieurs catalogues des variétés admises officiellement à la certification, au contrôle en tant que semences standard et à la commercialisation sur son territoire. Les catalogues sont subdivisés:
a) selon les variétés dont les semences peuvent être soit certifiées en tant que «semences de base» ou «semences certifiées», soit contrôlées en tant que «semences standard» et,
b) selon les variétés dont les semences ne peuvent être contrôlées qu'en tant que semences standard.
Les catalogues peuvent être consultés par toute personne.
3. Un catalogue commun des variétés des espèces de légumes est établi sur la base des catalogues nationaux des États membres, conformément aux dispositions des articles 16 et 17. »[1]
Ainsi, la vente de semences n'est plus soumise à l’obligation d’inscription au catalogue officiel, à l'exception des règles sanitaires relatives à la sélection et à la production.
2. L’obligation de se conformer aux règles sanitaires applicables
Les règles sanitaires prévues par le Règlement 2016/2031 continuent en principe à s’appliquer, sauf aux nombreux opérateurs fournissant directement des semences à l’utilisateur final.
En effet, le Règlement 2016/2031 impose aux opérateurs de disposer d’un certificat phytosanitaire pour l’introduction de semences sur le territoire de l’Union[2] et d’un passeport phytosanitaire pour la circulation de semences sur le territoire de l’Union[3].
Cependant, les professionnels fournissant directement des semences aux utilisateurs non professionnels n’ont pas à disposer d’un passeport phytosanitaire pour la circulation de ces semences. En effet, l’article 81 du Règlement 2016/2031 dispose :
« Aucun passeport phytosanitaire n'est exigé pour la circulation de végétaux, produits végétaux ou autres objets fournis directement à un utilisateur final, y compris aux jardiniers non professionnels.
Cette exception ne s'applique pas:
a) aux utilisateurs finals qui reçoivent des végétaux, produits végétaux ou autres objets dans le cadre d'une vente à distance; ou
b)aux utilisateurs finals de végétaux, produits végétaux ou autres objets pour lesquels un passeport phytosanitaire pour les zones protégées est requis en vertu de l'article 80. »
Ainsi, dans les nombreux cas où les semences sont fournies directement à l’utilisateur final non professionnel et où il ne s’agit pas d’une vente à distance, aucun passeport phytosanitaire n’est requis.
3. L’obligation de se conformer à certaines exigences en matière d’étiquetage
Les opérateurs doivent toujours se conformer à certaines exigences en matière d’étiquetage, conformément à l’article L. 111-1 du code de la consommation.
En effet, l’article L. 111-1 1° du Code de la consommation impose à tout vendeur professionnel de biens ou de services une obligation précontractuelle d’information:
« Avant que le consommateur ne soit lié par un contrat de vente de biens ou de fourniture de services, le professionnel communique au consommateur, de manière lisible et compréhensible, les informations suivantes :
1° Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, compte tenu du support de communication utilisé et du bien ou service concerné ».
Les caractéristiques essentielles des semences sont l’espèce, la variété, le nombre de graines ou leur poids total, la date de péremption approximative, ou la durée d’utilisation possible.
Ainsi, tout vendeur professionnel de semences à des jardiniers amateurs, qu’il soit une association ou une entreprise commerciale, doit toujours fournir aux jardiniers amateurs des informations sur les caractéristiques essentielles des semences proposées à la vente, à savoir l’espèce, la variété, le nombre de graines ou leur poids et la date de péremption approximative.
En définitive, ce dispositif d’exemption, qui ne concerne que la vente aux utilisateurs non professionnels, n’est donc pas sans garde-fous, tant en matière sanitaire qu’en matière
d’information du consommateur.
C’est la troisième fois que ce dispositif d’exemption est adopté par la représentation nationale
1. 2016 : la loi Biodiversité et la censure du Conseil constitutionnel
Dès 2016, les parlementaires ont adopté au sein de la loi Biodiversité[4] un amendement permettant d’une part, à tous les opérateurs,
de donner des semences de variétés appartenant au domaine public à des utilisateurs finaux non professionnels et d’autre part, aux associations régies par la loi du 1er
janvier 1901 de les vendre. Ces dispositions résultaient d’un compromis difficile entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
L’article 11 de la loi Biodiversité prévoyait ainsi d’ajouter à l’article L. 661-8 du Code rural et de la pêche maritime un dernier alinéa rédigé comme suit :
« La cession, la fourniture ou le transfert, réalisé à titre gratuit ou, s’il est réalisé par une association régie par la loi du 1er janvier 1901 relative au contrat d’association, à titre onéreux de semences ou de matériels de reproduction des végétaux d’espèces cultivées de variétés appartenant au domaine public à des utilisateurs finaux non professionnels ne visant pas une exploitation commerciale de la variété n’est pas soumis aux dispositions du présent article, à l’exception des règles sanitaires relatives à la sélection et à la production. »
Cependant, le 4 août 2016, le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions, en considérant que le fait d'instaurer une exemption au profit des seules associations méconnaissait le principe d'égalité devant la loi[5].
Ce principe est proclamé par l'article 6 de la Déclaration de 1789, selon lequel la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ».
Pour le Conseil Constitutionnel, « Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. »
Ainsi, une différence de traitement n’est justifiée que si elle est en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit.
Or, pour le Conseil, en l’espèce, « les associations ne sont pas placées dans une situation différente de celle d'autres personnes morales ou physiques au regard de l’objectif poursuivi par le législateur, à savoir, faciliter la circulation des variétés végétales auprès des utilisateurs finaux non professionnels ».
Le Conseil a donc considéré que la différence de traitement ainsi établie méconnaissait le principe d'égalité devant la loi.
Toutefois, le Conseil constitutionnel, en supprimant du texte définitif la référence aux associations, a également fait disparaître, sans motif particulier, l’expression « à titre onéreux », privant ainsi le dispositif de toute portée commerciale.
Ainsi, suite à la loi Biodiversité, seul les échanges gratuits de semences de variétés appartenant au domaine public à des utilisateurs finaux non professionnels restaient dispensés de l’application de la législation européenne sur le commerce des semences, et notamment de l’inscription des variétés au catalogue officiel. A compter du 10 août 2016, le dernier alinéa de l’article L. 661-8 du code rural et de la pêche maritime était donc rédigé comme suit :
« La cession, la fourniture ou le transfert, réalisé à titre gratuit de semences ou de matériels de reproduction des végétaux d'espèces cultivées de variétés appartenant au domaine public à des utilisateurs finaux non professionnels ne visant pas une exploitation commerciale de la variété n'est pas soumis aux dispositions du présent article, à l'exception des règles sanitaires relatives à la sélection et à la production. »
2. 2018 : La loi EGalim et la nouvelle censure du Conseil constitutionnel
Les parlementaires ont ensuite réintroduit au sein de la loi EGalim de 2018[6] un amendement tendant à permettre, enfin, la vente de semences de variétés appartenant au domaine public à des utilisateurs non professionnels. Il s’agissait de réintégrer la mention « ou à titre onéreux » à l’article L. 661-8 du code rural et de la pêche maritime. Cet amendement a été adopté définitivement par l’Assemblée nationale, contre l’avis du gouvernement, le 2 octobre 2018.
La motivation au soutien de cette censure était pour le moins indigente.
Dans sa décision, le Conseil rappelle les termes de la dernière phrase du premier alinéa de l'article 45 de la Constitution :
« Sans préjudice de l'application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis »
Sur ce fondement, mais sans plus de justification, le Conseil censure 23 articles de la loi, soit près du quart du texte voté (alors qu’il n’était saisi que sur 4 articles de la loi) :
« Introduites en première lecture, les dispositions des articles 12, 21, 22, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 39, 40, 41, 42, 43, 49, 56, 58, 59, 60, 78, 86 et 87 ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale. Adoptées selon une procédure contraire à la Constitution, elles lui sont donc contraires. »
De manière très contestable, le Conseil constitutionnel a ainsi considéré qu’une disposition sur la vente de semences ne présentait pas de lien, même indirect, avec une loi portant sur l’agriculture et l’alimentation et ayant plus précisément pour objet « l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous ».
L’argumentaire laconique du Conseil ne permettait pas d’apprécier la notion de « lien, même indirect » avec l’objet du projet de loi, ni de comprendre pourquoi le Conseil constitutionnel considérait que les articles censurés n’étaient pas rattachables au projet de loi initial. L’examen comparé des articles censurés et des dispositions ayant échappé à la censure rendait cette décision de censure encore moins compréhensible.
Suite à cette décision du Conseil constitutionnel, seul l’échange à titre gratuit de semences à destination d’utilisateurs non professionnels restait exempté de l’application des directives européennes sur le commerce de semences.
3. La proposition de loi dite « post-EGalim » et l’avis circonstancié de la Commission européenne
Après cette seconde censure, un très grand nombre de parlementaires, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, ont déposé des propositions des lois (4) tendant à réintroduire dans la loi un certain nombre d’articles censurés, et en particulier les dispositions sur la vente de semences. La proposition de loi déposée par 388 députés de la République en Marche et apparentés le 20 mars 2019 a finalement pu être inscrite à l’ordre du jour en 2020. Cette loi a été définitivement adoptée par l’Assemblée nationale le 27 mai 2020. Elle a été promulguée le 10 juin 2020, a été publiée au journal officiel le 11 juin 2020 et est entrée en vigueur le 12 juin 2020.
Une procédure de notification à la Commission a cependant été menée en parallèle, sans qu’elle ne soit ni nécessaire, ni justifiée.
Le gouvernement français a en effet considéré que l’article sur la vente de semences devait être notifié à la Commission européenne conformément à la directive 2015/1535 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information.
La procédure de notification est la suivante.
L’article 5 paragraphe 1 de la directive 2015/1535 impose aux États membres de « communiquer immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s'il s'agit d'une simple transposition intégrale d'une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit ».
Cette notification a pour conséquence d’ouvrir, conformément à l’article 6, paragraphe 1 de la directive 2015/1535, une période de statu quo de trois mois, durant laquelle les États membres doivent reporter l’adoption du projet de règle technique pour laisser à la Commission le temps de donner son avis sur celui-ci.
Si, pendant cette période de statu quo, la Commission émet un « avis circonstancié selon lequel la mesure envisagée présente des aspects pouvant éventuellement créer des obstacles à la libre circulation des marchandises dans le cadre du marché intérieur », l’adoption du projet de règle technique doit être reporté de six mois[8].
Suite à la réception d’un avis circonstancié de la part de la Commission, l’État membre doit communiquer avec la Commission sur les mesures qu’il entend prendre pour se conformer à l’avis :
« L'État membre concerné fait rapport à la Commission sur la suite qu'il a l'intention de donner à de tels avis circonstanciés. La Commission commente cette réaction. »[9]
Au cas présent, la notification a été faite le 24 mars et la période de statu quo courait jusqu’au 25 juin 2020. Par son avis circonstancié du 23 juin 2020, la Commission s’oppose au dispositif français, prolonge le délai de statu quo jusqu’au 25 septembre 2020 et demande à la France de lui faire part des suites qu’elle entend donner à ses observations.
Cette notification est cependant singulière car la France n’a pas reporté l’adoption du projet de règle technique de trois mois, contrairement à ce que requiert l’article 6, paragraphe 1 de la directive 2015/1535. En effet, la loi est déjà entrée en vigueur.
Dans ce contexte, le fait de ne pas avoir reporté l’entrée en vigueur de la loi constitue-t-il une violation de la directive 2015/1535 ? L’article 10 est-il, de ce fait, inapplicable ? Force est de constater que tel n’est pas le cas, pour les raisons qui suivent.
Le dispositif français n’est pas une règle technique et n’était donc pas soumis à l’obligation de notification à la Commission
L’article 5 de la directive (UE) 2015/1535 n’impose que la notification des projets de « règle technique ». Or, l’article 10 de la loi relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires n’introduit pas une « règle technique ».
En effet, il n’existe que quatre types de règles techniques selon la directive 2015/1535 : les « spécifications techniques », les « autres exigences », les « règles relatives aux services » et les « dispositions législatives, réglementaires et administratives ». La CJUE assure un contrôle strict de ces définitions, dont la liste établie par la directive (UE) 2015/1535 est exhaustive[10].
Les « spécifications techniques » recouvrent :
- une spécification qui figure dans un document définissant les caractéristiques requises d'un produit[11]. Pour la CJUE, cela « présuppose que la mesure nationale se réfère nécessairement au produit ou à son emballage en tant que tels et fixe, dès lors, l’une des caractéristiques requises d’un produit »[12].
- les méthodes et les procédés de production relatifs aux produits agricoles visés à l'article 38, paragraphe 1, deuxième alinéa, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, aux produits destinés à l'alimentation humaine et animale, ainsi qu'aux médicaments tels que définis à l'article 1er de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil[13]. Pour la CJUE, dans ce cas, « la notion de spécification technique désigne la spécification qui figure dans un document définissant les caractéristiques du produit ou ses méthodes et procédés de production. »[14]
Dès lors, dans la mesure où l’article 10 de la loi ne se réfère pas au produit ni à son emballage en tant que tels, ni ne figure dans un document définissant les caractéristiques d’un produit agricole, ses méthodes ou procédés de production, cet article n’est pas une spécification technique.
Les « autres exigences » désignent des exigences, autres que des spécifications techniques, imposées à l'égard d'un produit pour des motifs de protection, notamment des consommateurs ou de l'environnement, et visant son cycle de vie après mise sur le marché, telles que ses conditions d'utilisation, de recyclage, de réemploi ou d'élimination, lorsque ces conditions peuvent influencer de manière significative la composition ou la nature du produit ou sa commercialisation[15].
L’article 10 de la loi ne concerne pas les produits « après leur cycle de vie »[16] et n’est donc pas une « autre exigence ».
Les « règles relatives aux services » sont des exigences de nature générale relatives à l'accès aux activités de services et à leur exercice[17]. Or, l’article 10 n’est pas relatif aux services, mais bien aux marchandises.
Sont également des règles techniques les « dispositions législatives, réglementaires et administratives » des États membres interdisant la fabrication, l'importation, la commercialisation ou l'utilisation d'un produit ou interdisant de fournir ou d'utiliser un service ou de s'établir comme prestataire de services[18]. L’article 10 ne comportant aucune « interdiction », elle ne relève pas non plus de ce quatrième type de règle technique[19].
En définitive, l’article 10 de la loi relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires n’introduit pas une règle technique et n’était donc pas soumis à l’obligation de notification de la directive (UE) 2015/1535. Il est donc parfaitement régulier de ne pas avoir reporté l’entrée en vigueur de la loi.
L’avis circonstancié de la Commission est dépourvu de portée
L’article 10 de la loi relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaire n’étant pas soumis à l’obligation de notification prévue par la directive (UE) 2015/1535, la notification de la Commission et l’avis circonstancié qui en découle sont dépourvus d’effet.
Cela est en outre confirmé par le fait que la procédure de notification permettant à la Commission d’adresser un avis circonstancié ne s’applique qu’à tout « projet de règle technique »[20].
Or, la notion de « projet de règle technique » est définie comme suit au sein du Règlement :
« le texte d'une spécification technique, ou d'une autre exigence ou d'une règle relative aux services, y compris de dispositions administratives, qui est élaboré dans le but de l'établir ou de la faire finalement établir comme une règle technique et qui se trouve à un stade de préparation où il est encore possible d'y apporter des amendements substantiels. »[21]
En l’espèce, la loi a déjà été adoptée et ne se trouve de toute évidence pas au stade de la préparation. Par suite, la procédure prévue par la directive 2015/1535 cesse de s’appliquer et l’avis circonstancié qui en découle est dépourvu d’effet.
La France n’a donc pas à faire part à la Commission des suites qu’elle entend donner à ses observations et encore moins à reporter l’adoption du texte, ce qu’elle ne peut de toutes façons pas faire, la loi étant déjà entrée en vigueur.
L’avis circonstancié, s’il n’a pas d’impact juridique sur le fondement de la directive 2015/1535, constituerait-il une mise en demeure préalable à l’engagement d’une procédure de recours en manquement contre la France ?
L’article 258 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne précise les conditions dans lesquelles la Commission peut engager une procédure de recours en manquement contre un État membre devant la Cour de justice de l’Union Européenne :
« Si la Commission estime qu'un État membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités, elle émet un avis motivé à ce sujet, après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations. Si l'État en cause ne se conforme pas à cet avis dans le délai déterminé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice de l'Union européenne. »
Dans une ordonnance du 13 septembre 2000[22], la CJUE a considéré qu’un avis circonstancié émis dans le cadre d’une procédure de notification ne constituait pas l’avis motivé requis par cet article (à l’époque, l’article 169 du traité instituant la Communauté Européenne).
Selon la Cour de justice :
« L'opinion contraire aboutirait à ce que l'avis circonstancié constitue une mise en demeure conditionnelle dont l'existence serait subordonnée à la suite que l'État membre concerné réserverait audit avis. Les exigences de la sécurité juridique, inhérentes à toute procédure susceptible de devenir contentieuse, s'opposent à une telle incertitude ».
Par conséquent, l’avis circonstancié de la Commission ne permet pas à celle-ci d’agir en manquement à l’encontre de la France devant la Cour de Justice de l’Union Européenne car il ne constitue pas une mise en demeure régulière de la France. Pour engager une telle procédure, la Commission devrait émettre un nouvel avis motivé après avoir mis la France en demeure de présenter ses observations.
En définitive, l’avis circonstancié de la Commission est dépourvu d’effet, tant au regard de la directive 2015/1535 qu’au regard d’un éventuel recours en manquement contre la France. La loi, qui est entrée en vigueur le 12 juin, est donc pleinement applicable en France.
En outre, cet avis circonstancié est juridiquement infondé, la mesure s’inscrivant dans la marge de manœuvre laissée par la législation européenne
L’avis de la Commission tient en un minuscule paragraphe, lapidaire et non argumenté :
« À cet égard, il convient de noter que la cession, la fourniture ou le transfert de semences visant une exploitation commerciale, qu’ils soient gratuits ou à titre onéreux, relèvent du champ d’application de la commercialisation des semences au sens de l’article 2, paragraphe 1, point a), de la directive 2002/55/CE et de l’article 1er bis de la directive 66/401/CEE. Le commerce de semences ne visant pas une exploitation commerciale de la variété n’est pas considéré comme une commercialisation conformément au deuxième alinéa de l’article 2, paragraphe 1, point a), de la directive2002/55/CE et à l’article1erbis de la directive66/401/CE; ceci concerne notamment la fourniture de semences à des organismes officiels d’expérimentation et d’inspection; la fourniture de semences à un prestataire de services chargé de la transformation ou du conditionnement ; ou la fourniture de semences pour la production de certaines matières premières agricoles destinées à un usage industriel, ou la propagation de semences à cet effet. Bien que l’article 2, paragraphe 1, point a), de la directive 2002/55/CE et l’article 1er bis de la directive 66/401/CEE ne fournissent aucune liste exhaustive de situations de « commerce de semences ne visant pas une exploitation commerciale », il apparaît que la cession, la fourniture ou le transfert de semences au consommateur final constitue bel et bien une exploitation commerciale. Toutes les règles de commercialisation prévues à la directive 2002/55/CE s’appliquent donc à la cession, à la fourniture ou au transfert de semences à des tiers et, dans le cas concerné, à des utilisateurs finaux non professionnels, car de telles actions sont destinées à l’exploitation commerciale de la variété. »
Le raisonnement précis de la Commission est difficile à suivre puisqu’elle admet que l’article 2, paragraphe 1, point a) de la directive 2002/55/CE ne mentionne pas toutes les situations ne visant pas une exploitation commerciale de la variété, tout en soutenant, dans la même phrase et sans argumentaire au soutien de cette affirmation, que la cession, la fourniture ou le transfert de semences au consommateur final constitue nécessairement une telle exploitation commerciale.
Certains termes utilisés sont en outre source de confusion. La Commission indique :
« il apparaît que la cession, la fourniture ou le transfert de semences au consommateur final constitue bel et bien une exploitation commerciale».
Or, ce n’est pas la cession, la fourniture ou le transfert de semences à tout consommateur final qui est visé par le dispositif français, mais seulement les échanges à destination d’utilisateurs finaux non professionnels, comme les jardiniers amateurs ou les collectivités publiques. La mention du caractère non professionnel des utilisateurs finaux est-elle une simple omission de la part de la Commission ou considère-t-elle que tout échange à destination d’un utilisateur final, professionnel ou non professionnel, vise une exploitation commerciale?
Pour apporter de la clarté dans ce débat, rappelons les termes mêmes des directives sur le commerce de semences et la définition qu’elles retiennent de la commercialisation.
L’article 1er de la Directive 2002/55/CE du Conseil du 13 juin 2002 concernant la commercialisation des semences de légumes dispose :
« La présente directive concerne la production en vue de la commercialisation ainsi que la commercialisation de semences de légumes à l'intérieur de la Communauté. »
Ainsi, les directives sur le commerce de semences ne s’appliquent qu’à la production en vue de la commercialisation ainsi que la commercialisation de semences.
Or, la plupart des directives relatives au commerce des semences retiennent la même définition de la notion de commercialisation, à savoir :
« La vente, la détention en vue de la vente, l’offre de vente et toute cession, toute fourniture ou tout transfert, en vue d’une exploitation commerciale, de semences à des tiers, que ce soit contre rémunération ou non. »[23]
Dans cette disposition, la place réservée à l’expression « en vue d’une exploitation commerciale », entre virgules, indique qu’elle constitue un attribut nécessaire des différents échanges énumérés antérieurement. Aussi, la notion de commercialisation ne couvre que les échanges de semences, qu’ils soient onéreux ou gratuits, à l’attention de tiers qui en feront eux-mêmes une exploitation commerciale.
Ainsi, la notion de commercialisation n’est pas conditionnée par l’obtention d’une rémunération. Elle n’est pas non plus dépendante de l’intention du cédant (c’est-à-dire du vendeur). La notion de commercialisation repose en fait sur la seule intention du cessionnaire, c’est-à-dire de l’acheteur de la semence.
Par conséquent, lorsque les tiers ne reçoivent pas les semences dans l’optique d’en faire une exploitation commerciale, à la manière des agriculteurs professionnels, mais seulement pour les cultiver pour eux-mêmes, comme c’est le cas des jardiniers amateurs, l’opération ne saurait relever de la notion de commercialisation.
L’avis de la Commission s’inscrit donc en faux par rapport aux termes mêmes des directives, qui ne s’appliquent qu’aux échanges de semences en vue d’une exploitation commerciale par le tiers acquéreur.
En outre, le second paragraphe de la définition de « commercialisation » clarifie encore la compréhension qu’il faut avoir de cette notion :
« Ne relèvent pas de la commercialisation les échanges de semences qui ne visent pas une exploitation commerciale de la variété, telles que les opérations suivantes :
- la fourniture de semences à des organismes officiels d'expérimentation et d'inspection,
- la fourniture de semences à des prestataires de services, en vue de la transformation ou du conditionnement, pour autant que le prestataire de services n'acquière pas un titre sur la semence ainsi fournie. (…) »[24]
Dans ces deux exemples, ce sont bien les activités des acquéreurs des semences qui sont visées et qui ne font pas apparaître une exploitation commerciale de la variété : les organismes officiels d’expérimentation et d’inspection ne procèdent pas à une exploitation commerciale, et les prestataires de services, qui peuvent être amenés à transformer ou à conditionner des graines, ne font toutefois pas une exploitation commerciale de la variété.
De plus, comme la Commission le reconnaît elle-même dans son avis, l’énumération des opérations ne visant pas une exploitation commerciale de la variété, par l’emploi de la locution « telles que », n’est à l’évidence pas exhaustive.
Cela est confirmé par la version allemande du texte, qui utilise la locution « wie z.B. », signifiant « wie zum Beispiel », c’est-à-dire en français « comme par exemple » :
« Nicht als Inverkehrbringen gilt der Handel mit Saatgut, der nicht auf die kommerzielle Nutzung der Sorte abzielt, wie z. B. die nachstehenden Vorgänge:
- die Lieferung von Saatgut an amtliche Prüf- und Kontrollstellen;
- die Lieferung von Saatgut an Erbringer von Dienstleistungen zur Verarbeitung oder Verpackung, sofern der Erbringer der Dienstleistungen keinen Rechtsanspruch auf das gelieferte Saatgut erwirbt. »
Il résulte donc de la rédaction précise des directives européennes que les échanges de semences qui ne visent pas une exploitation commerciale de la variété, comme les échanges de semences à destination des utilisateurs non professionnels, ne répondent pas à la définition de la « commercialisation ». Ils n’entrent donc pas dans le champ d’application des directives sur le commerce des semences et peuvent ainsi être exemptés de leur application.
Cette lecture des textes européens est d’autant plus acceptable que la législation européenne sur le commerce des semences ne résulte pas de règlements mais de directives, qui
laissent aux États membres une marge d'interprétation importante et doivent être transposées par les États membres en tenant compte de leurs situations respectives.
La vente de semences aux utilisateurs non professionnels est libre au Danemark depuis 2015
Le Danemark a clairement reconnu, dans un guide ou circulaire éditée par le Ministère de l’environnement et de l’agriculture en 2015 et intitulée « Semences Potagères et semences de céréales »[25], la possibilité d’échanger et de vendre librement des semences à des jardiniers amateurs, en ces termes (page 18 du Guide) :
Le gouvernement danois a présenté cette circulaire à la Commission européenne le 25 mai 2016, à l’aide d’un document PowerPoint[26] dans lequel il livre son interprétation des termes « en vue d’un exploitation commerciale ». Ce document indique ainsi :
(traduction libre : Qu’est-ce que signifie « en vue d’une exploitation commerciale » ?
(…)
Nous considérons donc que les directives visent le commerce de semences dans le but d’en faire un usage commercial en production agricole et horticole ».
Le Danemark en a très logiquement conclu que les échanges et transferts de semences à l’attention des jardiniers amateurs peuvent être exemptés des règles sur le commerce des semences, et notamment de l’obligation d’inscription au catalogue officiel :
(traduction libre : « Qu’est ce qui est exclu selon la pratique danoise ?
- Les échanges et le commerce de semences dans un but non commercial, par exemple pour les semences qui ne sont pas utilisées pour la production agricole ou horticole :
- Echange et commerce de semences considérés comme n’étant pas destinés à une utilisation commerciale :
- usage privé (jardinier amateur)
- tests et essais (petite quantité) et
- banque de gènes ») (soulignement ajouté)
Ce dispositif d’exemption est le même que celui mis en place par la France. Pourtant, le Danemark s’était abstenu de notifier cette mesure à la Commission et aucune procédure de recours en manquement n’a été engagée par la Commission.
C’est donc en méconnaissance du principe d’égalité de traitement que la Commission s’oppose au dispositif français. Le principe d’égalité de traitement, énoncé à l’article 9 du Traité sur l’Union européenne, impose que « des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu’une différenciation ne soit objectivement justifiée »[27]. Cela implique qu’une différenciation selon les régions et autres conditions de production ou de consommation ne peut être fondée que sur des « critères objectifs qui assurent une répartition proportionnée des avantages et désavantages entre les intéressés, sans distinguer entre les territoires des États membres »[28].
De toute évidence, la situation des utilisateurs non professionnels français et danois, comme celle des vendeurs français et danois de semences de variétés appartenant au domaine public, est comparable et ne saurait être traitée différemment.
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Ainsi, depuis le 12 juin 2020, la vente de semences de variétés appartenant au domaine public aux utilisateurs non professionnels est enfin libre en France.
L’avis circonstancié de la Commission, qui s’oppose à une disposition adoptée par trois fois par la représentation nationale, est dépourvu de portée juridique car le dispositif français ne constitue pas une règle technique soumise à l’obligation de notification. Cet avis est en outre juridiquement infondé car le dispositif français s’inscrit, comme le dispositif danois, dans la marge de manœuvre prévue par la législation européenne. La prolongation de la période de statu quo n’a donc aucun effet en droit français.
Le nouveau dispositif est donc applicable et devrait favoriser la vente d’une grande diversité de variétés traditionnelles, libres de droits et reproductibles, aux utilisateurs non professionnels, et particulièrement aux jardiniers amateurs. Ces jardiniers et les nombreuses organisations actives dans le domaine de la conservation des ressources génétiques ne manqueront pas de saisir cette opportunité pour approfondir encore leur travail essentiel de préservation de notre patrimoine agricole et alimentaire.
[1] Article 3 de la directive 2002/55/CE.
[2] Article 71 du Règlement 2016/2031.
[3] Article 79 du Règlement 2016/2031.
[4] Article 11 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages dite
« biodiversité »
[5] Conseil constitutionnel, Décision n°2016-737 DC du 4 août 2016.
[6] Article 78 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et
accessible à tous.
[7] Conseil constitutionnel, Décision n° 2018-771 DC du 25 octobre 2018.
[8] Article 6 paragraphe 2 deuxième tiret de la directive 2015/1535.
[9] Article 6 paragraphe 2 de la directive 2015/1535.
[10] CJUE, 1er février 2017, C-144/16.
[11] L’article premier, paragraphe 1., c) de la directive 2015/1535 prévoit notamment « les niveaux de qualité ou de propriété d'emploi, la sécurité, les dimensions, y compris les exigences applicables au produit en ce qui concerne la dénomination de vente, la terminologie, les symboles, les essais et les méthodes d'essai, l'emballage, le marquage et l'étiquetage, ainsi que les procédures d'évaluation de la conformité. »
[12] CJUE, 10 juillet 2014, affaire C-307/13.
[13] Article premier, paragraphe 1, c) de la directive 2015/1535.
[14] CJUE, 10 juillet 2014, affaire C-307/13.
[15] Article premier, paragraphe 1, d) de la directive 2015/1535.
[16] CJUE, 4 février 2016, affaire C-336/14.
[17] Article premier, paragraphe 1, e) de la directive 2015/1535.
[18] Article premier, paragraphe 1, f) de la directive 2015/1535.
[19] CJUE, 1er février 2017, affaire C-144/16.
[20] Article 6 de la directive 2015/1535.
[21] Article 1 point g) de la directive 2015/1535.
[22] Ordonnance du 13 septembre 2000, affaire C-341/97.
[23] Définition retenue notamment à l’article 2 point 1.a) de la Directive 2002/55/CE du Conseil.
[24] Définition retenue notamment à l’article 2 point 1.a) de la Directive 2002/55/CE du Conseil.
[25] Circulaire « Semences potagères et semences de céréales ». Ministère de l’environnement et de
l’alimentation du Danemark, 2015 – V. doc. joint
[26] « Hobby Varieties and Conservation Varieties in DK ». Ministère de l’environnement et de l’alimention du Danemark, The Danish Agrifish Agency. 25 mai 2016 – V. doc.
joint
[27] Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 20 septembre 1988, Espagne/Conseil, 203/86, point 25
[28] Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 20 septembre 1988, Espagne/Conseil, 203/86, point 25
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